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Suite à la décision de la Cour suprême plus tôt en octobre, je suis à nouveau frappé par le peu de compréhension concernant la difficulté de divulgation du statut sérologique que peuvent avoir plusieurs personnes pour qui le VIH n'est pas une réalité quotidienne. Ceci est surtout vrai quand il s'agit de divulguer à des personnes dont on peut douter de leur éventuelle réaction. J'ai souvent trouvé l'acte de divulgation très difficile, même en tant qu'homme blanc et éduqué qui occupe un poste que je ne vais pas perdre à cause de mon statut sérologique. À partir de ma position privilégiée, je peux quand même apprécier le fardeau encore plus lourd que ce geste représente pour ceux et celles qui n'ont pas les mêmes privilèges que moi.
Premier sur la liste des résultats négatifs, le rejet. Il faut comprendre ici je ne revendique pas une obligation d'entrer dans une relation ou une activité sexuelle quand une personne ne s'y sent pas à l'aise, mais il y a plusieurs manières d'exprimer l'inconfort ou la peur. Certaines de ces manières sont plus respectueuses que d'autres. Vivre plusieurs expériences malcommodes de rejet sans aucune indication d'intérêt pour la compréhension ou pour l'apprentissage peut mener le plus consciencieux d'entre nous de conclure à la futilité de la divulgation.
Imaginez confier votre secret le plus difficile à quelqu'un. Lors d'une première rencontre, vous n'êtes probablement pas prêt pour ça, surtout dans l'absence d'indication de la réaction possible de cette personne. Il est vrai qu'au début d'une relation, vous avez moins investi dans la relation (ce qui devrait faciliter la divulgation — moins à risquer), mais vous n'avez pas non plus développé la relation de confiance qui peut vous mettre à l'aise pour divulguer. Si vous attendez que cette relation de confiance soit construite, vous vous trouverez peut-être dans la position d'avoir « trahi » cette personne en omettant de divulguer plus tôt. Tôt ou tard, on ne peut pas gagner sur ce front.
Mais qu'est-ce qu'on risque en divulguant son statut sérologique à une personne qu'on ne connait guère? Le droit de déterminer à qui va être communiqué cette information? Si je vous divulgue mon statut et vous me rejetez tout court, comment allez-vous réagir la prochaine fois que vous me verrez parler à un de vos amis? Des doigts pointés et des commentaires chuchotés m'indiqueront que vous avez pris l'initiative de partager avec plus de monde le secret que je vous ai communiqué en toute confiance. Oui, il y a des lois qui protégeraient mon droit à la vie privée, mais ce n'est pas l'état qui va faire respecter ces lois comme c'est le cas pour le droit criminel. Non, ça revient à moi de mobiliser les ressources, les connaissances et surtout le courage pour faire valoir mon droit à la vie privée. Ce n'est pas du tout évident, particulièrement quand j'aurais peut-être à sortir très publiquement devant les tribunaux avec mon statut pour protéger ma vie privée.
Bon. Mon secret est sorti. Quelles peuvent être les conséquences négatives pour moi? Il suffit de jeter un coup d'œil sur les réactions irrationnelles de plusieurs personnes dans notre société pour avoir une bonne idée de ce que je risque. Un sondage publié par l'agence de santé publique du Canada en 2006 a démontré que 44% des répondants n'acceptaient pas qu'une personne vivant avec le VIH ait le droit de servir le public comme dentiste ou cuisinier. Dans la même étude, 27% seraient très ou moyennement inconfortables à magasiner dans une petite épicerie locale sachant que le propriétaire était infecté au VIH.
Des données plus récentes? En 2011, le Centre en recherche sociale pour la prévention du VIH et la Fondation canadienne de recherche sur le sida ont collaboré à une étude que vous pouvez trouver ici. Il y avait une diminution modérée du nombre de personnes exprimant un inconfort dans des situations où il n'y a pas de risque de transmission du VIH, mais une portion significative de la population exprime toujours des attitudes clairement discriminatoires — 23% pour l'épicerie locale et 18% pour travailler dans un bureau avec un collègue séropositif.
Ajoutons à ces statistiques les expériences anecdotisés de personnes qui se sont vu refuser ou qui ont perdu leurs emplois — par coïncidence autour du moment où leur statut sérologique était divulgué, par eux-mêmes ou par hasard — et vous comprendrez peut-être le désir d'exercer un contrôle sur la dissémination de cette information. Vous m'excuserez si je suis réticent à confier mon acceptation sociale et mon employabilité à quelqu'un que je connais à peine. Si cette personne partage largement mon information personnelle et je perds mon emploi, le gouvernement ne viendra pas à mon aide et la personne aura réussi à détruire ma vie sans subir de conséquences.
L'affirmation qui me fâche le plus (et j'ai « défriendé » une couple de personnes sur Facebook pour ceci, donc on peut conclure que je le prends au sérieux!) est celle qui compare la non-divulgation du statut sérologique avec l'intention de faire mal aux autres. Pourquoi est-il si difficile à croire qu'une personne peut être à la recherche d'une vie aussi normale que possible, tout en appliquant les conseils du personnel médical et des intervenants communautaires et tout en confrontant la peur de transmettre son virus à autrui, et n'est pas comme on veut croire dédiée à l'infection malicieuse de tous et toutes? Qu'une personne cherche tout simplement à être aimée et acceptée sans avoir à lutter à tout moment contre la stigmatisation vécue, disons, à l'épicerie ou au bureau.
Je ne comprendrais jamais l'idée que l'entière responsabilité de la prévention du VIH soit l'unique responsabilité des personnes vivant avec le VIH alors que nous sommes également aux prises avec la stigmatisation et la discrimination venant d'une société qui manque d'information sur le VIH et ne cherche pas à s'informer. Nous ne poursuivons pas des activités sexuelles tout seuls (au moins on n'est pas poursuivi quand on le fait tout seul!), donc qu'en est-il du partenaire séronégatif ou de statut inconnu : aucune responsabilité d'insister sur le port du condom? Aucune responsabilité même de demander au partenaire son statut?
Si je suis piéton (avertissement de métaphore farfelue!) et j'arrive à un passage clouté sans feu de circulation, est-ce que je traverse sans regarder dans les deux directions? Serais-je si stupide sans porter la responsabilité pour ce qui m'arriverait? Je tends à penser que, voulant protéger ma santé et celle des autres, j'approcherais le passage clouté avec le degré de prudence attendu d'un piéton et je traverserais de manière sécuritaire au lieu de me présenter comme victime innocente de l'automobiliste qui aurait pu être à quelques petits mètres du passage quand j'ai décidé de sortir sans regarder. Après tout, c'est à lui de klaxonner pour m'avertir. Sans klaxon, je peux présumer l'absence d'automobiles sur une rue, non?
Oui, l'exemple est ridicule, mais pas plus que la réalité.
Nous aimerions tous vivre dans un monde où les gens pourraient divulguer leur statut sérologique et qu'il suivrait une discussion, de l'ouverture et de la compassion. Nous ne sommes pas là, et je ne vois pas beaucoup d'efforts pour y arriver, du moins certainement pas par un système qui criminalise un partenaire de danse tout en laissant l'autre danser sans soucis comme d'habitude.
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