21 April 2016

La manif aussi soulignait un changement de paradigme

Nous parlons beaucoup du changement de paradigme en lien avec la lutte contre le VIH/sida. Ce changement se trouve dans le déploiement des antirétroviraux (ARV) et leur impact sur la transmission, soit en contrôle de charge virale, soit en prophylaxie pré-exposition (PrEP). Si tous les pays semblent être d'accord sur le déploiement des ARV en traitement, des défis restent pour l'accessibilité des la PrEP. Et cela vaut une manifestation à la session d'ouverture de la conférence AFRAVIH2016 à Bruxeles.

« PrEP PrEP PrEP, PrEP maintenant; PrEP PrEP PrEP, PrEP partout »

Ce slogan, scandé par des dizaines de militants et militantes qui montaient sur scène, a résonné comme des slogans d'autrefois, mais avec des différences qui méritent d'être soulignées.

Au début de cette lutte, nous étions en état d'urgence partout. Aucun traitement efficace identifié, de nombreux gouvernements négligeant ou même refusant d'agir. Dans ce contexte, notre militance était aussi sauvage que la situation : imposition de notre présence, gestes gênantes pour ceux qui avaient le pouvoir sur nos vies, autant médecins que décideurs. Qui n'a pas des souvenirs d'actions de simulations de mort dans la rue et devant les décideurs? Lors d'une conférence internationale à Montréal, les militants lançaient des condoms à l’archevêque catholique qui prêchait contre l'utilisation de cet outil incontournable à l'époque où on n'avait rien d'autre. La montée sur scène n'était pas accueillie, mais décriée. Des médecins et autre scientifiques ont affirmé ne pas avoir d'intérêt à assister à des futures conférences si les militants prenaient autant de place.

Le 20 avril 2016, tout une autre réaction.

Oui, il y avait les employés du centre de congrès qui exerçaient leur pouvoir sur les lieux : affiches enlevées, avertissements concernant le contrôle des ballons d'hélium portant le message PrEP. Si c'était ces employés qui avaient le contrôle sur ce qui se passait, la manif n'aurait peut-être pas eu lieu.

Mais ce n'est pas les employés d'un centre de congrès qui ont le mot final sur ce qui se passe à une conférence sur le VIH/sida. Après nos débuts dérangeants pour plusieurs, nous sommes devenus des alliés des scientifiques et des médecins traitants, et eux, ils sont devenus à leur tour nos alliés. Nous avons appris à travailler plus en concertation, nous pour exiger de l'action officielle, eux pour fournir les bases scientifiques de meilleures décisions. Souvent aussi la différentiation nous/eux ne se tient pas : des médecins font partie des militants, des militants deviennent chercheurs.

Pas de surprise, donc, qu'on a trouvé un accueil plus intéressant en 2016 qu'en début de l'épidémie. Toute un section de sièges réservés pour les militants et militantes qui allaient prendre la scène sur un signal prédéterminé, des applaudissements de la salle et une reprise du message par le maître des cérémonies. Loin d'être des intrus, nous étions plus que bienvenues.

Pas de surprise non plus que les militants et militantes ne sont pas arrivés en cachette, mais portant fièrement les chandails de cette action concertée, des pancartes en main. Nous nous sommes installés dans la section réservé pour nous et nous avons attendu le signal à la fin de la dernière présentation — présentation d'une des nôtres — pour se lever en « prendre » la scène, sans résistance.

Maturation ou instrumentalisation?

Le contraste des manifs des années 1980 et 1990 et celle de cette semaine est dramatique. On peut se demander si nos tactiques ont évoluées en fonction de la maturité de notre mouvement, ou des leçons apprises dans la maximisation de notre impact sur des résultats ou bien si nous nous soumettons à un certain contrôle des nos actions pour ne pas trop déranger ceux qui contrôlent les leviers du pouvoir.

Le test de notre capacité de s'indigner se trouvera dans nos réactions à la lenteur des certains gouvernements et le refus d'autres à rendre disponible l'outil indispensable de prévention qu'est la PrEP partout et maintenant, comme nous le demandons. Sommes-nous toujours capables d'actions dérangeantes?