30 October 2012

Le Défi de la divulgation

The English version of this article is published on PositiveLite.com, here.

Suite à la décision de la Cour suprême plus tôt en octobre, je suis à nouveau frappé par le peu de compréhension concernant la difficulté de divulgation du statut sérologique que peuvent avoir plusieurs personnes pour qui le VIH n'est pas une réalité quotidienne. Ceci est surtout vrai quand il s'agit de divulguer à des personnes dont on peut douter de leur éventuelle réaction. J'ai souvent trouvé l'acte de divulgation très difficile, même en tant qu'homme blanc et éduqué qui occupe un poste que je ne vais pas perdre à cause de mon statut sérologique. À partir de ma position privilégiée, je peux quand même apprécier le fardeau encore plus lourd que ce geste représente pour ceux et celles qui n'ont pas les mêmes privilèges que moi.

Premier sur la liste des résultats négatifs, le rejet. Il faut comprendre ici je ne revendique pas une obligation d'entrer dans une relation ou une activité sexuelle quand une personne ne s'y sent pas à l'aise, mais il y a plusieurs manières d'exprimer l'inconfort ou la peur. Certaines de ces manières sont plus respectueuses que d'autres. Vivre plusieurs expériences malcommodes de rejet sans aucune indication d'intérêt pour la compréhension ou pour l'apprentissage peut mener le plus consciencieux d'entre nous de conclure à la futilité de la divulgation.

Imaginez confier votre secret le plus difficile à quelqu'un. Lors d'une première rencontre, vous n'êtes probablement pas prêt pour ça, surtout dans l'absence d'indication de la réaction possible de cette personne. Il est vrai qu'au début d'une relation, vous avez moins investi dans la relation (ce qui devrait faciliter la divulgation — moins à risquer), mais vous n'avez pas non plus développé la relation de confiance qui peut vous mettre à l'aise pour divulguer. Si vous attendez que cette relation de confiance soit construite, vous vous trouverez peut-être dans la position d'avoir « trahi » cette personne en omettant de divulguer plus tôt. Tôt ou tard, on ne peut pas gagner sur ce front.

Mais qu'est-ce qu'on risque en divulguant son statut sérologique à une personne qu'on ne connait guère? Le droit de déterminer à qui va être communiqué cette information? Si je vous divulgue mon statut et vous me rejetez tout court, comment allez-vous réagir la prochaine fois que vous me verrez parler à un de vos amis? Des doigts pointés et des commentaires chuchotés m'indiqueront que vous avez pris l'initiative de partager avec plus de monde le secret que je vous ai communiqué en toute confiance. Oui, il y a des lois qui protégeraient mon droit à la vie privée, mais ce n'est pas l'état qui va faire respecter ces lois comme c'est le cas pour le droit criminel. Non, ça revient à moi de mobiliser les ressources, les connaissances et surtout le courage pour faire valoir mon droit à la vie privée. Ce n'est pas du tout évident, particulièrement quand j'aurais peut-être à sortir très publiquement devant les tribunaux avec mon statut pour protéger ma vie privée.

Bon. Mon secret est sorti. Quelles peuvent être les conséquences négatives pour moi? Il suffit de jeter un coup d'œil sur les réactions irrationnelles de plusieurs personnes dans notre société pour avoir une bonne idée de ce que je risque. Un sondage publié par l'agence de santé publique du Canada en 2006 a démontré que 44% des répondants n'acceptaient pas qu'une personne vivant avec le VIH ait le droit de servir le public comme dentiste ou cuisinier. Dans la même étude, 27% seraient très ou moyennement inconfortables à magasiner dans une petite épicerie locale sachant que le propriétaire était infecté au VIH.

Des données plus récentes? En 2011, le Centre en recherche sociale pour la prévention du VIH et la Fondation canadienne de recherche sur le sida ont collaboré à une étude que vous pouvez trouver ici. Il y avait une diminution modérée du nombre de personnes exprimant un inconfort dans des situations où il n'y a pas de risque de transmission du VIH, mais une portion significative de la population exprime toujours des attitudes clairement discriminatoires — 23% pour l'épicerie locale et 18% pour travailler dans un bureau avec un collègue séropositif.

Ajoutons à ces statistiques les expériences anecdotisés de personnes qui se sont vu refuser ou qui ont perdu leurs emplois — par coïncidence autour du moment où leur statut sérologique était divulgué, par eux-mêmes ou par hasard — et vous comprendrez peut-être le désir d'exercer un contrôle sur la dissémination de cette information. Vous m'excuserez si je suis réticent à confier mon acceptation sociale et mon employabilité à quelqu'un que je connais à peine. Si cette personne partage largement mon information personnelle et je perds mon emploi, le gouvernement ne viendra pas à mon aide et la personne aura réussi à détruire ma vie sans subir de conséquences.

L'affirmation qui me fâche le plus (et j'ai « défriendé » une couple de personnes sur Facebook pour ceci, donc on peut conclure que je le prends au sérieux!) est celle qui compare la non-divulgation du statut sérologique avec l'intention de faire mal aux autres. Pourquoi est-il si difficile à croire qu'une personne peut être à la recherche d'une vie aussi normale que possible, tout en appliquant les conseils du personnel médical et des intervenants communautaires et tout en confrontant la peur de transmettre son virus à autrui, et n'est pas comme on veut croire dédiée à l'infection malicieuse de tous et toutes? Qu'une personne cherche tout simplement à être aimée et acceptée sans avoir à lutter à tout moment contre la stigmatisation vécue, disons, à l'épicerie ou au bureau.

Je ne comprendrais jamais l'idée que l'entière responsabilité de la prévention du VIH soit l'unique responsabilité des personnes vivant avec le VIH alors que nous sommes également aux prises avec la stigmatisation et la discrimination venant d'une société qui manque d'information sur le VIH et ne cherche pas à s'informer. Nous ne poursuivons pas des activités sexuelles tout seuls (au moins on n'est pas poursuivi quand on le fait tout seul!), donc qu'en est-il du partenaire séronégatif ou de statut inconnu : aucune responsabilité d'insister sur le port du condom? Aucune responsabilité même de demander au partenaire son statut?

Si je suis piéton (avertissement de métaphore farfelue!) et j'arrive à un passage clouté sans feu de circulation, est-ce que je traverse sans regarder dans les deux directions? Serais-je si stupide sans porter la responsabilité pour ce qui m'arriverait? Je tends à penser que, voulant protéger ma santé et celle des autres, j'approcherais le passage clouté avec le degré de prudence attendu d'un piéton et je traverserais de manière sécuritaire au lieu de me présenter comme victime innocente de l'automobiliste qui aurait pu être à quelques petits mètres du passage quand j'ai décidé de sortir sans regarder. Après tout, c'est à lui de klaxonner pour m'avertir. Sans klaxon, je peux présumer l'absence d'automobiles sur une rue, non?

Oui, l'exemple est ridicule, mais pas plus que la réalité.

Nous aimerions tous vivre dans un monde où les gens pourraient divulguer leur statut sérologique et qu'il suivrait une discussion, de l'ouverture et de la compassion. Nous ne sommes pas là, et je ne vois pas beaucoup d'efforts pour y arriver, du moins certainement pas par un système qui criminalise un partenaire de danse tout en laissant l'autre danser sans soucis comme d'habitude.

08 October 2012

Libération très conditionnelle?

Pensées préliminaires sur les jugements de la Cour suprême du Canada dans Mabior et DC.
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Permettez-moi de commencer en qualifiant mon niveau d'expertise. J'ai déjà été avocat, mais j'ai démissionné du Barreau il y a plus de dix ans, donc je lis les jugements avec un mélange particulier de formation en droit dans le passé, d'implication politique actuel et l'œil souvent paranoïaque d'une personne qui risque de vivre les conséquences de la décision. Si vous êtes prêts à avaler tout ça (je ne pouvais pas résister!) je vous invite à lire et à exprimer votre accord ou désaccord. Pour des analyses plus poussées sur le plan juridique, je vous suggère de consulter la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida ou le Réseau juridique canadien VIH/sida.

Contexte (version simplifiée)

La Cour suprême du Canada s'est prononcée sur la question de la réponse du droit criminel au VIH pour la première fois en 1998, dans l'arrêt Cuerrier. Les faits de cette cause sont importants, venant d'une ère avant qu'on connaisse les traitements antirétroviraux efficaces (donc avant de pouvoir penser à une charge virale indétectable) et tournant autour d'un homme qui n'a pas utilisé des condoms avec ses partenaires (ce qui limitait la possibilité du tribunal de se prononcer sur le niveau de risque avec utilisation de condoms).

La Cour a construit une interprétation des lois existantes par laquelle l'absence de divulgation du statut sérologique viciait le consentement du partenaire, et une relation sexuelle sans consentement est une agression sexuelle, ou au moins des voies de fait. Si on y ajoute l'impact d'une infection au VIH menant à des conséquences graves pour la santé de la personne l'accusation prend plus d'ampleur, comme agression sexuelle grave ou voies de fait graves.

Le test élaboré par la Cour dans Cuerrier se résume comme suit : si l'acte peut impliquer un risque important de transmission du VIH (lésion corporelle grave), la non-divulgation du statut sérologique constitue une fraude qui annule le consentement du partenaire et l'acte devient non-consensuel. On allait découvrir plus tard le manque de clarté concernant la définition du risque important. Est-ce que les condoms réduisent le risque à un niveau moins qu'important? La décision minoritaire écrite par Madame Justice McLaughlin laissait comprendre que ça pourrait être le résultat de l'utilisation de condoms, mais ce raisonnement n'avait pas la force de droit parce que M. Cuerrier n'avait pas utilisé des condoms et une majorité de la Cour suprême n'a pas signifié son accord avec ce point de vue.

Plus récemment, nous avons commencé à s'interroger sur l'impact d'une charge virale indétectable. Peut-elle aussi avoir l'effet de réduire le risque au-dessous du seuil d'importance, particulièrement dans un contexte où les autorités de la santé publique de plusieurs provinces commencent à prôner le traitement comme moyen de prévention?

L'incertitude s'est manifestée dans la forme de décisions contradictoires de divers tribunaux à travers le pays, se terminant par les deux causes décidées par la Cour suprême le 5 octobre.




Les causes Mabior et DC (également simplifiées)

M. Mabior a été accusé de neuf chefs d'agression sexuelle grave pour la non-divulgation de son statut sérologique à ses multiples partenaires. Ce qui était intéressant d'un point de vue juridique, attendu les questionnements dans la communauté, est qu'il a parfois utilisé des condoms et sa charge virale était parfois indétectable, ce qui devrait permettre aux tribunaux de mieux clarifier les questions. Aucune des partenaires de M. Mabior n'a été infectée. Trouvé coupable de six des chefs d'accusation, il a porté la décision en appel à la Cour d'appel du Manitoba, qui l'a acquitté sur quatre des chefs, où il a utilisé un condom ou a eu une charge virale indétectable. La Couronne a porté cette décision en appel à la Cour suprême du Canada.

Mme. DC a été accusée de voies de fait graves et d'agression sexuelle grave concernant une seule relation sexuelle avant de divulguer son statut sérologique à son partenaire. Cet homme a déposé sa plainte quatre ans après l'incident dans le contexte de son propre procès pour violence conjugale lors de leur séparation. Notons que les deux ont poursuivi une relation pendant quatre ans après le divulgation du statut sérologique de la femme. (Notons en plus que le plaignant a été trouvé coupable de violence conjugale, mais a mérité une absolution inconditionnelle après avoir exposé la plainte qu'il avait déposée à l'égard de sa victime. Je pourrais poursuivre cette question, mais je me retiens pour ne pas perdre le fil du sujet actuel.) Elle a dit qu'il y avait utilisation d'un condom et il l'a nié. Il n'a pas été infecté au VIH. Trouvée coupable suite à un exercice extraordinaire du juge pour conclure qu'il n'y avait pas de condom, la Cour d'appel du Québec l'a acquittée, citant sa charge virale indétectable lors de l'incident, mais maintenant la conclusion du juge de première instance quant à l'absence du condom. La Couronne l'a porté en appel à la Cour suprême du Canada.

Réactions à la décision de la Cour suprême

C'est tout un spectacle de témoigner la publication d'une décision de la Cour suprême et la grande variété de réponses que ça peut provoquer. Les médias, étant informés d'avance du dépôt de la décision, étaient prêts à interpeller tout genre de porte-parole pour leurs interprétations de la signifiance du jugement. Les interprétations étaient très variables.

Quelques personnes vivant avec le VIH (PVVIH) et quelques experts en santé publique ou médecins spécialistes en VIH ont salué le jugement comme un pas en avant. La coalition des groupes communautaires intervenants devant la Cour suprême l'ont traité d'injuste, l'appelant « un grand pas en arrière pour la santé publique et pour les droits de la personne. » Comme on ne trouverait pas une réaction plus mixte que ça, je pensais que ça pourrait être utile d'examiner le jugement de près pour identifier les bons et les mauvais coups, du point de vue de quelqu'un vivant avec le VIH et engagé dans la défense de nos droits, avec toutes les limites à mes capacités d'interprétation que j'ai notées au début.

La réaction publique à ce jugement, mesurée par le déluge de commentaires sur les sites des différents médias, n'est pas facile à lire. (Cœurs sensibles s'abstenir!) On y retrouve une grande incompréhension du VIH et de ses modes de transmission, ce qui ne serait que triste si ça ne faisait pas peur.




Un nouveau test

La Cour suprême n'a pas désavoué la règle de Cuerrier, mais elle a reconnu qu'il y avait des problèmes de clarté et a proposé une nouvelle façon d'évaluer le « risque important de lésions corporelles graves. » Le jugement propose un test de « possibilité réaliste de transmission du VIH » comme moyen d'assurer que la barre ne soit établie trop haute ni trop basse, considérant la nature sérieuse de l'infection au VIH. Ce qui est proposé est une évaluation du degré de mal et du risque de transmission, qui sont en relation inverse : la plus sérieuse la maladie, le plus bas le niveau du risque de transmission qui engagerait la responsabilité de divulguer. Tout en insistant sur le fait que les causes devant le tribunal n'impliquaient pas d'autres infections transmises sexuellement, le tribunal a quand même suggéré que la plupart de ces autres infections ne sont pas aussi sérieuses que le VIH, donc le niveau de risque de transmission nécessaire pour engager la responsabilité de divulguer serait plus élevé.

Toujours trop vague? Le tribunal offre des balises plus claires. Le paragraphe 94 du jugement dans Mabior nous informe que la possibilité réaliste de transmission du VIH est écartée lorsque la charge virale est faible (par opposition à indétectable) lors des relations sexuelles ET le condom est utilisé. Le jugement précise qu'une charge virale est faible au-dessous de 1 500 copies par millilitre. Avec ces deux éléments, il n'y a pas de responsabilité criminelle de divulguer son statut si la question n'est pas posée.




Quels sont les bons coups?
 

Nous avons au moins un peu plus de clarté. Une charge virale faible (moins de 1 500) avec l'utilisation du condom élimine l'obligation de divulguer son statut sérologique à un partenaire qui ne le demande pas. (J'ajoute moi-même la partie « qui ne le demande pas » parce que mentir face à une question de son partenaire constituerait en soi une fraude viciant son consentement.) Ça veut dire aussi que la Cour suprême du Canada reconnaît que dans une telle situation le risque de transmission du VIH n'est que spéculatif et non pas réaliste, ce qui est un geste de reconnaissance, même minime, à la science concernant la transmission et la prévention du VIH.

Tracer la ligne à une charge virale de 1 500 était un choix intéressant. Le tribunal a clairement compris qu'une charge virale détectable, mais basse, réduit le risque de transmission et que le concept d'indétectable peut évoluer (au Québec, nous avons passé d'un test sensible à 500 copies à un autre sensible à 50 copies en 1999 pour ensuite passer à un autre sensible à 40 copies en 2010). La ligne telle que tracée évite que le fardeau des PVVIH devienne plus lourd avec le développement de technologies de plus en plus sensibles, et elle dédramatise aussi (du moins aux fins de la responsabilité criminelle) les « blips » qui peuvent arriver de temps en temps dans la mesure de la charge virale.

Un autre bon coup se trouve dans la décision dans l'affaire DC. Le jugement dans Mabior décrit le test de « possibilité réaliste de transmission du VIH », mais le jugement dans DC a un mot à dire sur la qualité de preuve d'absence du condom. La seule preuve présentée au sujet de la présence ou absence du condom dans DC venait des parties, qui se contredisaient et qui étaient toutes les deux qualifiées de « peu crédibles » par le juge de première instance. Il a dû trouver une autre source de preuve pour corroborer l'absence du condom, ce qu'il faisait en lisant le dossier médical de DC où elle a posé une question sept ans plus tôt sur l'impact d'un condom brisé. Le juge tirait la conclusion qu'elle aurait menti à son médecin pour cacher la non-utilisation du condom à l'époque et donc mentait aussi au sujet du condom lors de sa rencontre avec le plaignant. La Cour suprême nous dit que « [l]’échafaudage de conjectures sur lequel se fonde le juge du procès n’équivaut pas à un élément de preuve indépendant qui corrobore le témoignage du plaignant. » Ceci peut avoir un impact sur les éléments de preuve pour des futures accusations de PVVIH, mais il se peut aussi que cette situation soit si unique qu'elle n'aura pas d'effet au-delà de cette cause.




Et des moins bons coups…

Pour le dire ouvertement, nous voulions un jugement disant que l'utilisation du condom OU la charge virale indétectable écarteraient l'obligation de divulguer, mais le jugement nous a donné un « ET ». Il se peut que la Cour suprême ait voulu être très conservatrice par rapport au risque de transmission et dramatique par rapport aux impacts du VIH en 2012. Je ne manque pas de prudence moi-même et je ne sous-estime pas l'impact du VIH sur une vie, même aujourd'hui, mais je vois ici un surplus de protection que je caractérise en anglais comme l'approche ceinture ET bretelles (j'aborde le sujet ici). Tout ça pour dire que je trouve que le jugement laisse la plupart du fardeau sur les épaules des PVVIH et probablement à cause des craintes de la population générale. La réponse du public aux reportages qui mettent l'emphase sur les situations où la divulgation ne sera pas requise est surtout négative, ce que je trouve déprimant.

Le jugement devra causer un peu d'inquiétude chez les autorités de la santé publique et ceux qui travaillent en prévention. Après 30 ans de messages nous incitant à « utiliser le condom » la Cour suprême semble dire que le condom tout seul ne suffit pas. Comme j'ai déjà indiqué, je trouve que l'approche en est une d'une prudence excessive, et je me demande quelles seront les conséquences pour la prévention.

Le tribunal ne prend pas connaissance d'office de l'efficacité des condoms. Prendre connaissance d'office veut dire qu'un fait est tellement bien reconnu qu'il n'est plus nécessaire de le prouver devant le tribunal. La Cour suprême accepte que le virus ne traverse pas la barrière du latex, mais accepte également le témoignage expert du procès de Mabior à l'effet que l'erreur humaine et les bris de condom réduisent l'efficacité à un taux autour de 80%. L'efficacité des condoms dans une situation particulière peut être très difficile à prouver, et l'évaluation du taux d'échec à 20% a probablement contribué au jumelage de la charge virale basse avec le condom dans la décision.

Un autre danger que j'anticipe est l'évolution possible de l'approche « traitement comme prévention » vers le traitement obligatoire. Pour ceux et celles qui ne sont pas sous traitement dû à des niveaux de CD4 qui ne le justifieraient pas selon les lignes directrices actuelles, la charge virale basse que cherche la Cour suprême n'est pas nécessairement actualité. Ils ne vont pas pouvoir échapper à l'obligation de dévoiler en utilisant le condom, mais se trouveront avec le choix de dévoiler dans tous les cas ou d'embarquer sur le traitement précocement avec utilisation du condom en sus.

Ce que je n'ai vu nulle part dans le jugement c'était la responsabilité du partenaire de la personne vivant avec le VIH. Pas que j'attendais le voir : le droit criminel ne s'apprête pas à la responsabilité partagée qui fut depuis le début de l'épidémie centrale aux messages de la santé publique et qui est bien connue au droit civil. Encore une fois, l'entière responsabilité de la prévention du VIH repose sur les épaules des PVVIH. J'imagine que ces autres personnes attendent être protégées par le droit criminel et non pas en ajustant leurs propres comportements.

Je suis certain qu'il y a des gens qui vont lire ce texte qui ne vont pas comprendre la difficulté de la divulgation du statut sérologique. Comme j'ai déjà trop écrit pour un seul billet, je vous promets de revenir sur le sujet de la divulgation dans un prochain billet.

La Cour suprême nous a tracé une ligne plus claire. Malheureusement, cette ligne ne se trouve pas à l'endroit où nous l'attendions.