De tous les messages qui circulent dans le monde à propose du VIH dans ce temps d’optimisme extrême, nul n’est aussi reconnaissable ni attaché à la cascade des soins que l’objectif 90-90-90 d’ici 2020, tel qu’énoncé par l’ONUSIDA et adopté par plusieurs, dont notre gouvernement fédéral. Il y a beaucoup à admirer dans ce message, mais il mérite une analyse pour identifier ses forces et ses faiblesses.
Un rappel pour ceux et celles qui pourraient être moins familiers avec les objectifs 90-90-90 : 90% des personnes vivant avec le VIH seraient dépistées; de ce nombre, 90% seraient sous traitement; et des personnes traitées, 90% auraient une charge virale indétectable.
Regardons le premier 90 : le dépistage. N’y a-t’il pas un 90 qui devrait venir avant ça? La prévention, peut-être? Ou est-ce qu’on laisse tomber la prévention pour suivre le chemin purement médical, se contentant de trouver et traiter les infectés au lieu de prévenir ces infections? Le 90 à ajouter serait que 90% des personnes aient un accès à l’ensemble des outils et services de prévention, ou 90% de la population de vivrait pas une privation au niveau des déterminants sociaux de la santé.
Retournons au dépistage. Cette années, les estimations de l’Agence de la Santé publique du Canada indiquent que 21% des personnes vivant avec le VIH ignoreraient leur statut, un chiffre plus bas pour certaines populations et plus élevé pour d’autres. C’est un grand écart à réduire au cours des quatre prochaines années. Nous aurons à regarder ailleurs dans le monde pour trouver des approches efficaces et les adopter si nous voulons y arriver.
Nous devons aussi examiner des barrières au dépistage que nous semblons accepter sans question. Si un homme gai actif sexuellement suit les consignes de la santé publique et se fait dépister aux trois mois, il va presque certainement avoir des problèmes à contracter une assurance vie, même si l’ensemble de ses tests reviennent négatifs. Si une personne ignore son statut, elle n’est pas responsable au criminel de ne pas le divulguer…et elle est probablement plus infectieuse aussi, plus apte à transmettre le VIH. Voilà deux choses que nous pouvions changer si nous voulions vraiment rendre le dépistage plus intéressant pour les personnes que nous essayons rejoindre.
Le deuxième 90 : le traitement. Dans le passé, j’étais résistant au message que tout le monde devrait prendre un traitement antirétroviral tout de suite, et je continue à insister que la personne traitée doit absolument donner son consentement libre et éclairé au traitement. La preuve des bénéfices pour la santé de la personne traitée (au-delà des questions de prévention de la transmission) sont maintenant claires et je les accepte. J’insiste toujours sur le consentement éclairé, mais l’éclairage comprend les informations concernant les bénéfices pour la santé de la personne.
Quelles sont les barrières ici? Je vous lance le défi de déménager entre provinces. Nous avons dix différentes façons de distribuer des médicaments, encore plus si on compte les territoires et les multiples formulaires gérés par le gouvernement fédéral. La solution se trouve indéniablement dans la négociation d’une meilleure entente pour faciliter la mobilité de la population, ce qui n’est pas nécessairement un seul système « national » à travers le pays. (Notons que « national » veut dire autre chose au Québec qu’ailleurs au Canada.) Un autre aspect qui mérite notre attention : les coûts à assumer pour les patients, non seulement pour les antirétroviraux, mais pour l’ensemble des autres médicaments que prennent la plupart des PVVIH que je connais. Comme personne employée à temps plein, je suis prêt à contribuer aux coûts, mais il est clair que nous avons besoin d’une meilleure adaptation des frais par niveau de revenus.
Le troisième 90 : charge virale indétectable. Avec tous les choix de médicaments que nous avons dans notre pays, il n’y a aucune raison de ne pas pouvoir trouver une combinaison qui va fonctionner avec des effets secondaires minimes et un horaire de dosage adapté aux réalités de la personne. Mais il y en a plus. Nous faisons l’effort d’arriver à indétectable et à y rester, mais les bénéfices qui en découlent? Nous savons que les personnes dont la charge virale est indétectable ne transmettent pas le VIH, alors que la Cour suprême nous dit que ça prend plus que ça pour ne pas être poursuivis pour la non-divulgation aux partenaires. Nous subissons aussi la stigmatisation et la discrimination par ceux et celles qui ignorent et qui ne fassent pas d’effort d’apprendre la signifiance d’une charge virale indétectable. Ces choses doivent changer.
Mon titre suggère aussi que nous pouvons être alignés vers un échec, et je crois que ça mérite une explication. Nous sommes à un moment propice pour l’élimination du sida (la maladie du VIH en stade avancée avec ses conséquences associés pour la santé) et ensuite, éventuellement, du VIH. Mais qu’est-ce qu’on fait pour prendre avantage de cette opportunité? Très peu. Peu de nouveaux investissements. Une conférence international pour renflouer le Fonds mondial dont l’objectif a été établi en fonction du réalisable et non pas en fonction des vrais besoins pour arriver aux objectifs 90-90-90 et les suivants : 95-95-95 d’ici 2030.
Un mot sur l’objectif de « zéro discrimination » ajouté comme réflexe plutôt que réflexion à la fin. Oui, il est important d’éliminer la discrimination et nous n’avancerons pas sans le faire. Mais cet objectif est devenu banal : tut le monde est contre la discrimination, mais personne n’agit de manière proactive pour l’attaquer et l’éliminer.
Somme tout, je suis à 100% en faveur de cette stratégie 90-90-90, mais avec l’ajout d’un 90 (et ensuite un 95) concernant la prévention et des vraies actions pour éliminer la discrimination. Nous n’arriverons pas si nous n’y investissons pas les ressources nécessaires. Nous n’y arriverons non plus si nous ne sommes pas engagés dans le travail de faire descendre toutes les barrières à la réussite.