18 June 2014

Consensus québécois : un guide plutôt qu’un permis

An English version of this article is published on PositiveLite.

L’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ) et vient de publier un consensus d’experts (version intégrale ici) à l’effet que la charge virale indétectable sert à réduire le risque de transmission du VIH à un niveau qualifié de «négligeable ou très faible » pour des activités autrement à risque élevé. Ce consensus est soutenu par un avis de santé publique publié par le Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Bien sûr, ce consensus s’articule en fonction de plusieurs principes précis, et il est important de bien comprendre les conditions qui s’appliquent à cet énoncé.

Six conditions incontournables, commentées :

1. Partenaires stables et exclusifs

Le Consensus offre une définition vague de « engagés l’un envers l’autre » et fait référence à l’étude HPTN052 qui exigeait que le couple soit formé depuis au moins trois mois. La stabilité et l’exclusivité servent à éliminer beaucoup d’incertitudes par rapport à l’exposition à d’autres ITSS, surtout dans un contexte où les deux partenaires sont dépistés régulièrement. (Dans l’étude HPTN052 il y a eu des transmissions du VIH, mais en dehors du couple.)

2. Aucune autre infection transmise sexuellement ou par le sang (ITSS)

Nous savons que la présence d’une autre ITSS peut avoir un impact sur la charge virale et sur les possibilités de transmettre ou de contracter le VIH, les irritations et lésions offrant des portes d’entrée au virus. Donc, il est clair que l’absence d’ITSS offre plus de certitude par rapport au maintien d’une charge virale indétectable et à d’autres facteurs.

3. Le partenaire séropositif a une charge virale indétectable sur au moins deux mesures consécutives sur une période de six mois

Comme la plupart des personnes vivant avec le VIH ont des tests de charge virale seulement trois ou quatre fois par année, l’exigence de tests consécutifs sur une période définie sert à assurer la stabilité de la charge virale. S’il y a une brusque remontée (un « blip ») on remet le compteur des mois d’indétectabilité à zéro à partir du prochain résultat de charge virale indétectable.

4. Le partenaire séropositif a un taux d’adhérence aux médicaments de 95% ou plus

Ce 95% d’adhérence nous est familier comme référence : c’est le taux d’adhérence requis pour s’assurer que le virus ne développe pas des mutations résistantes aux composantes du dosage du traitement. Mutations et résistances mènent à la détectabilité et à des  risques accrus de transmission (pour ne pas parler de l’effet sur la santé de la personne elle-même!).

5. Les deux partenaires ont un suivi médical régulier avec dépistage d’ITSS, mesure de charge virale pour le partenaire séropositif et dépistage du VIH pour le partenaire séronégatif

Cette condition est posée comme garantie des conditions 2 et 3 (absence d’ITSS, charge virale indétectable). Un bon suivi médical identifierait des variations de la charge virale et repérerait rapidement une transmission au partenaire auparavant séronégatif.

6. Les deux partenaires ont un counseling approprié et régulier qui touche les conditions énumérées ci-dessus, la réduction des risques, le port du condom et (pour le partenaire séropositif) les aspects légaux et les conséquences possibles de la non-divulgation du statut sérologique à son partenaire

Le counseling sert à offrir aux partenaires l’opportunité de s’informer et de valider leur compréhension de l’ensemble des éléments précédents. À long terme, ces sessions de counseling permettront également de communiquer aux partenaires les nouveaux développements scientifiques qui peuvent affecter leur évaluation des risques encourus par leurs différentes activités. Notons que dans le cas d’un couple qui respecte l’ensemble de ces conditions, il ne peut pas être question de la non-divulgation : ici, les partenaires séronégatifs sont au courant du statut de séropositivité de leur partenaire.

Quelle est l’importance de ce Consensus québécois ?

Après la publication de l’énoncé de la Commission fédérale suisse en 2008, les autorités de la santé publique de plusieurs pays et provinces se sont rapidement distancées de l’énoncé, n’étant pas prêtes à reconnaître qu’il y avait des situations dans lesquelles on pouvait affirmer que le risque de transmission du VIH est quasiment nul sans utilisation du moyen de prévention classique, soit le condom. Mais depuis ce temps, les  recherches se sont poursuivies et l’intérêt pour l’utilisation des traitements comme moyen de réduire la transmission du VIH n’a cessé de croître.

Le Consensus québécois de l’INSPQ réaffirme non seulement ce que la Commission fédérale suisse a présentait en 2008, mais étend sa position aux couples homosexuels et à de différentes activités — que ce soit les relations orales, vaginales ou anales — et arrive à la même conclusion : lorsque sont respectées l’ensemble des conditions et même en l’absence d’utilisation du condom, le risque est quand même réduit au niveau « négligeable ou très faible ». Dans le contexte actuel où l’on insiste de plus en plus sur la prise précoce des traitements anti-VIH afin de réduire la transmission, voici enfin un bénéfice pour les couples qui répondent aux critères énumérés : ils peuvent utiliser ou non le condom sans s’exposer à des risques accrus de transmission entre eux.

Le Consensus ne fait pas de comparaison entre  l’efficacité des condoms et la charge virale indétectable, car l’état des études actuelles ne permet pas d’arriver à de telles conclusions pour le moment. Il reconnaît aussi que si l’ensemble des conditions n’est pas respecté, il demeure plausible malgré tout que le risque soit moindre qu’avec une charge virale détectable, mais les études ne permettent pas de quantifier le risque ou la réduction du risque.

Et les autres nouvelles que nous entendons…?

Vous avez peut-être entendu parler du rapport intérimaire de l’étude Partners à la conférence CROI aux États-Unis. Celle-ci porte sur le suivi d’un nombre important d’actes sexuels des sujets de l’étude, avec et sans condoms, avec et sans ITSS, entre partenaires de sexe opposé tout comme de même sexe, et dans aucun cas y a-t-on observé une transmission du VIH. Gardons toutefois en mémoire qu’il s’agit de chercheurs partageant les résultats préliminaires d’une étude en cours. Généralement, on attend la fin d’une étude avant d’en tirer les conclusions; mais il semble que ces résultats préliminaires soient prometteurs.

L’autre élément qui a récemment fait les nouvelles était le consensus d’experts canadiens sur le VIH et la transmission dans le contexte du droit criminel au Canada. Ces experts font appel aux tribunaux afin qu’ils tiennent compte de la science actuelle afin de mieux comprendre et interpréter la transmission du VIH et ses conséquences sur la santé d’une personne, celles-ci ayant évoluées. Selon eux, les interprétations basées sur des informations incomplètes ou périmées mènent à des injustices. Cette  situation doit être réglée le plus rapidement possible.

Conclusion

Le Consensus québécois, comme le suggère mon titre, est un guide servant à aider les couples sérodifférents à réduire les risques de transmission du VIH entre eux, en consultation avec leur médecin. Si le couple souhaite ne pas utiliser de condom comme moyen de protection, ce guide présente les différents éléments de suivi médical et de dépistage pouvant  les aider à la prise de décision commune afin d’éviter la transmission.

Pour moi, le Consensus québécois est un important pas en avant. Il s’agit d’un énoncé officiel basé sur toutes les preuves scientifiques disponibles stipulant les conditions selon lesquelles un couple peut mettre en place des stratégies de prévention qui conviennent à leur situation, que celles-ci incluent ou non le condom. Les structures de la santé publique sont, de par nature, réticentes à s’adonner à des interprétations libérales et permissives quant à l’appréciation du risque. En  d’autres mots, elles sont conservatrices et ne peuvent pas se permettre les mêmes sorties qu’un chercheur peut faire dans l’interprétation de résultats de recherche préliminaires ou celles d’un groupe d’experts débattant entre eux.

Souhaitons maintenant que les autres questions trouvent des réponses positives, basées sur d’autres études tout aussi concluantes. Le Consensus québécois est le pas en avant qui me fait croire que nos structures de santé publique continueront de reconnaître la validité des nouvelles données et s’engageront à les intégrer dans notre compréhension « officielle » du VIH et sa transmission. Vive la méthode scientifique!


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