08 February 2012

Le droit et la vraie vie

Si vous suivez les développements en matière du VIH au Canada, vous allez sans doute entendre cette semaine de l'audition à la Cour suprême de deux appels pertinents à la définition du droit criminel canadien en lien avec le dévoilement du statut sérologique aux partenaires sexuels. Nous espérons tous et toutes de sortir de cette expérience avec des règles plus clairs, mais aussi basés sur la science et non pas sur les préjugés et la peur.

J'ai décidé de prendre une approche un peu différente de la plupart de ceux et celles qui vont partager leurs points de vue cette semaine sur ce sujet en partageant des expériences de ma propre vie. C'est un peu hors norme pour moi de le faire comme ça (sauf peut-être ici), attendu ma formation en droit, mais je crois que dans cette instance le personnel prévaut sur la complexité et la curiosité intellectuelle des arguments de droit.

J'ai deux histoires à raconter. Aucune histoire d'arrestation, parce que ça ne m'est pas arrivé. Tous les deux concernant le dévoilement, mais pas nécessairement avant l'acte (je peux entendre vos exclamations de désapprobation!). Chacune des histoires tourne autour de deux hommes qui se rencontrent, qui vont chez l'un ou l'autre pour avoir des expériences sexuelles…et peut-être cette discussion. Des étrangers qui peuvent toujours être étrangers malgré l'intimité de la situation, car ni l'un ni l'autre prévoyait une aventure de plus d'une nuit.

Je suis un homme gai d'un certain âge, comme on dit. J'ai embarqué dans ma vie sexuelle avant qu'on connaisse le VIH et j'ai appris avec le reste de ma communauté la nécessité des condoms pour certaines activités. Mais j'ai aussi eu l'avantage d'une perspective élargie sur les plaisirs sexuels, donc je savais que les condoms n'étaient pas nécessaires pour toute activité susceptible d'offrir du plaisir sexuel. Je suis également quelqu'un qui a attendu trop longtemps avant d'être dépisté (apprenons de mon erreur!), mais les deux histoires ont lieu après ce dépistage de séropositivité au VIH.

La première histoire concerne un homme que j'ai rencontré dans la rue et qui m'a accompagné chez moi. Pas de « date » ici — que du sexe sans délai ni embellissement. Les jeux complétés, il me demande si je suis séropositif et je réponds que oui. Ceci est le point où ma soirée se transforme en expérience de travail social, avec de la panique et de la colère de sa part, mais aussi avec une force de ma part de pouvoir rester calme, l'accompagner dans un examen de tout ce que nous avions fait en indiquant le manque de risque de transmission dans toutes ces actions. Arrivés à la fin de cette exercice — et je ne peux pas dire qu'il était nécessairement heureux ni rassuré, mais j'en ai eu assez — j'ai partagé avec lui ma propre colère [bien contrôlée] en lui disant que si le statut sérologique de ses partenaires était tellement important pour lui, il devrait demander avant et non pas après. Bye-bye!


La deuxième histoire est arrivée dans le contexte d'un événement avec un autre participant, donc nos liens étaient un peu plus développés, bien qu'il soit touriste et relativement inconnu. Nous quittons notre événement et, comme c'est l'intérêt de bien de touristes gais qui viennent à Montréal, nous nous dirigeons en direction d'un bar de danseurs nus. On boit et on boit encore. Saouls et mouillés par une pluie assez forte, nous venons chez moi et — dans l'intérêt de notre santé, bien sûr — nous nous débarrassons de nos vêtements en faveur de serviettes et ensuite un lit chaleureux. Je lui dis que je suis séropositif avant toute activité sexuelle. Je n'avais pas de condoms, ou je ne voulais pas faire ça (je ne m'en rappelle pas de la situation précise), donc je lui ai dit non en lui rappelant de mon statut sérologique. Trois fois. Nous n'avons rien fait de non-sécuritaire, mais ça me laisse perplexe quant aux limites de ma responsabilité dans une telle situation, l'ayant rappelé trois fois de mon statut.

Dans les deux cas, j'aurais pu être arrêté et accusé d'un crime. Dans le premier, pour avoir dévoilé seulement après et n'ayant que mon parole contre le sien par rapport à ce que nous avions fait. Dans le deuxième encore, je n'aurais que parole contre parole pour les activités, et la question juridique de sa compréhension de ce que je lui ai dit s'impose, bien que nous fussions tous les deux saouls.

Depuis mon diagnostique, comme toute autre personne vivant avec le VIH que je connais, j'ai toujours fait mon mieux pour ne pas transmettre le VIH. Cependant, je n'ai pas toujours dévoilé mon statut à mes partenaires. Ça m'attriste…non, ça me rend furieux de penser que j'aurais pu être accusé dans l'une ou l'autre de ces situations, dans un monde où les lignes sont mal tracées. J'aurais pu être trouvé coupable.

Je crois fermement à ma responsabilité morale de ne pas transmettre le VIH. Mais je crois également que c'est une responsabilité partagée et non pas entièrement sur mes épaules.

Pour partager, il faut communiquer et négocier. On ne peut pas avoir une conversation si je suis rejeté quand j'ouvre ma bouche et poursuivi quand je la ferme.

No comments: