02 October 2013

Et si je ne voulais pas de cure?

(An English version of this item can be found on Positive Lite here.)

Cet été, on m’a invité à participer à une conférence sur le VIH comme membre d’un panel saisi du sujet en rubrique : « Et si je ne veux pas une hostie de cure? » [ma traduction]. J’ai accepté l’invitation, mais pas sans devoir réfléchir sérieusement sur le titre. N’est-il pas vrai que nous sommes à la recherche d’une cure pour le VIH depuis le début de cette pandémie? Qui suis-je pour remettre ça en question sur le plan large? À la fin, je me suis permis de considérer la question à un niveau assez personnel — pour quelles raisons pourrais-je envisager de refuser une cure pour mon VIH?

Lors des échanges suivant les trois présentations des panélistes, une personne présente nous a rappelé un peu à l’ordre : nous étions tous les trois des hommes gais blancs dans un pays riche. Pas de dépendants, pas de responsabilité pour autrui, pas d’attente d’avoir des enfants dans l’avenir. Ces éléments ont un vrai impact sur la réponse à une question telle que celle qu’on nous a posée.

Donc, pourquoi moi je refuserais une cure qui me serait offerte si je pouvais compter sur une réponse de principe et non pas d’intérêt personnel? J’ai organisé mes raisons en trois niveaux de réflexion.

Niveau personnel

Mes attentes de vie ont déjà été perturbées par le changement qui arrivait avec mon diagnostique de séropositivité. Faisant preuve de résilience, j’ai embarqué dans un processus d’ajustement de ces attentes de ce que me réservaient la vie et l’avenir, et je suis une meilleure personne aujourd’hui, ayant vécu cette réflexion. J’ai souvent entendu des PVVIH parler de l’apport du VIH dans leurs vies — du fait que le VIH a provoqué une nouvelle évaluation de leurs valeurs et de leurs priorités — et je me compte parmi ces personnes, bien qu’il ne s’agisse pas d’un message très efficace pour la prévention. Ce n’est pas un message de prévention, mais une affirmation d’avoir changé de l’eau en vin et d’être très heureux avec le résultat.

Une cure maintenant? Je ne suis pas certain de vouloir retourner en atelier, de repartir la machine et de voir ce que je peux produire comme nouveau changement, de ne plus être séropositif quand je pensais que je le serais pour toujours. Plus de 15 ans après mon diagnostique, je me rends compte que le fait de vivre avec le VIH est devenu partie de mon identité. Ça doit expliquer pourquoi ma première réaction aux paroles concernant « la fin du sida » en est une de défense, comme je suis personnellement menacé. (Ça ne me prend pas beaucoup de temps pour revenir à la réalité qu’on parle de mettre fin à l’épidémie et non pas moi.)

Niveau géopolitique

Depuis l’arrivée de traitements efficaces contre le VIH, notre monde a lutté pour l’accessibilité de ces traitements pour l’ensemble des PVVIH qui en avaient besoin. Au moins, on a l’apparence de lutter dans ce sens. Certains efforts ont porté fruit et de plus en plus de PVVIH sont traitées, souvent via la générosité des donateurs, que ce soit des individus ou des pays. Nous ne sommes pas à la fin de cette lutte : plusieurs en Afrique sub-saharienne (à titre d’exemple) n’ont pas d’accès aux médicaments quand ils en ont besoin. L’accès aux traitements de deuxième ligne demeure illusoire dans plusieurs pays. C’était donc une blague dans ce contexte que les lignes directrices de traitement de l’Organisation mondiale de la santé ont été ajustées pour recommander le traitement plus précocement … quand nous n’arrivons pas à traiter le tout le monde qui serait admissible avec les anciens règles.

Voilà une des raisons pour laquelle je trouve difficile l’idée de voyager dans un pays qui vit cette situation difficile. La culpabilité que je sentirais en voyageant avec mes médicaments de deuxième ligne dans des pays où on ne peut que rêver d’avoir ces produits m’empêche de le faire. C’est peut-être un peu spécial pour moi d’éviter de voyager pour cette raison — comme si ne pas le voir veut dire qu’il ne se passe pas — mais j’y ai réfléchi : ne pas prendre mes médicaments ici n’aiderait pas aux gens là-bas et je ne veux pas vanter ma bonne fortune devant les autres inutilement.

Une cure dans ce contexte? Je craigne qu’une cure soit disponible ici et non pas partout dans le monde. Que, comme l’est notre habitude, les gens fortunés du monde auraient accès et les plus pauvres mourraient. Je vis en relative santé avec mes traitements antirétroviraux et je pourrais refuser une cure par motivation politique d’accessibilité universelle — mon refus couterait au système ici et pas dans les pays en développement.

Niveau justice économique

Dans notre système économique actuel, il y en a qui récoltent des profits énormes des traitements antirétroviraux. Nous les appelons des compagnies pharmaceutiques et, bien que peuplées par des personnes qui se sentent interpellées par le bien-être des autres, elles sont des compagnies dont le but et de maximiser les profits et les dividendes de leurs actionnaires. Parfois ces compagnies sont poussées par des forces comme vous et moi et surtout par des gens qui y travaillent jusqu’au point de réduire des prix dans des pays en développement ou d’octroyer des droits de production à des compagnies génériques dans ces mêmes marchés, mais ce n’est pas la vraie nature d’une société à but lucratif. Je ne dis pas ça pour les juger — ou pas plus que d’habitude en tout cas. J’exprime la vérité de leur rôle dans le système actuel.

Il y a eu beaucoup d’investissement dans la recherche d’une cure pour le VIH. Une bonne partie provient des gouvernements, qui ont vraiment fait des efforts récemment et ont investi dans des programmes de recherche de cure. D’autres investissements proviennent du privé, à savoir des fondations et d’autres entités qui devraient être considérés publiques, attendu leur capacité d’octroyer des reçus fiscaux (ceux et celles qui donnent paient moins des taxes). Des compagnies pharmaceutiques privées investissent aussi dans la recherche, mais elles sont aussi adeptes de la stratégie d’acheter des droits aux recherches initialement financées autrement. Et quel est le résultat d’une recherche qui se termine en produit viable commercialement? Des profits privés, presque toujours.

Je suis prêt à gager que les premières « cures » qui deviendront disponibles ne vont pas offrir l’immunité de la réinfection pour ceux et celles qui les prennent. Il y aura donc une immense potentiel de les commercialiser, en particulier dans des pays développés. Et tout ce potentiel, produit de la recherche financée par des fonds publics, parapublics ou privés, mènera à des immenses profits privés. Et ça, pour moi, serait difficile à avaler.

No comments: